« On a beau tout rêver, tu dépasses le rêve »
Victor Hugo
Samedi 9 mars 2013 à 11:44
Mercredi 6 mars 2013 à 18:24
Mercredi 6 mars 2013 à 14:51
Le soleil s’était levé depuis quelques heures déjà mais Camil, la tête enfouie dans son oreiller, tentait en vain de faire abstraction de la lumière qui envahissait sa chambre. Sa chambre. Il aimait l’appeler ainsi, ça lui donnait l’impression qu’il était chez lui et pourtant cela faisait des années qu’il n’avait pas franchi le seuil de sa maison. N’arrivant pas à occulter la cacophonie qui régnait dans les cellules voisines, le jeune homme se retourna pour s’allonger sur le dos et observer le plafond. C’était un plafond blanc, tout ce qu’il y a de plus basique, néanmoins il avait déjà passé des journées entières à le fixer sans ciller. Il en connaissait désormais les moindres détails, la moindre tâche, la moindre irrégularité, le moindre moustique écrasé sans doute par ses prédécesseurs. C’était la seule partie de la pièce qui n’avait pas été touchée par le fléau des graffitis, les quatre murs et quelques meubles avaient été pris d’assaut par les anciens résidents si bien que leur couleur d’origine était indéterminable et que chaque fois que Camil s’asseyait au bureau, ses avant-bras et ses mains étaient immédiatement couverts d’encre. Lui-même avait toujours refusé de se prêter à l’exercice, préférant nettement le contact de la plume sur la feuille à celui du marqueur sur la pierre. Les inscriptions le répugnaient, il lui était inconcevable de comprendre comment les ex-locataires avaient eu la force d’écrire le prénom de leur femme, de leurs enfants sur ces murs froids et souillés. Ne serait-ce qu’imaginer de voir le prénom de sa fille au milieu de tous les autres lui donnait la nausée, c’était comme imaginer la salir, la trainer dans la boue. Et il ne voulait pas ça. Non. Il n’avait même jamais eu le courage d’accrocher une photo d’elle au-dessus de son lit, il avait décrété que son visage angélique n’avait pas sa place ici. Et sans doute avait-il raison.
Camil se leva résigné et, comme tous les matins, se posta devant les barreaux de sa fenêtre. L’air, bien que brûlant et qui venait l’asphyxier, lui faisait l’effet d’une caresse sur le visage. Dans l’infinie de ciel bleu, seuls quelques nuages avaient réussi à se faire une place, « des cirrus, pensa Camil, encore et toujours des cirrus ». Pendant les premiers mois de son incarcération, le jeune homme avait refusé de se laisser aller comme ses co-détenus, il avait rejeté la drogue qui circulait, refusé les propositions qu’on lui avait faites pour se rallier à un « clan » de prisonniers censé assurer sa protection, il avait aussi renoncé aux médicaments de l’infirmerie : des anti-dépresseurs et des somnifères pour la plupart, des antalgiques quand il se faisait frapper. Il pensait mériter la peine qu’on lui avait infligée -il était d’ailleurs indéniable qu’il la méritait- et voulait vivre cette expérience seul, sans aide de quelque sorte que ce soit. Pendant les seize premières semaines il était resté devant sa fenêtre sans rien faire d’autre qu’observer le ciel, les nuages le jour, les étoiles la nuit. Pourtant, un jour, alors qu’il semblait qu’il lui serait impossible de sortir de cet état quasi végétatif, Camil avait demandé à aller à la bibliothèque. Il en était revenu les bras chargés de livres sur l’astronomie, les constellations, sur la météorologie aussi. Il avait étudié pour comprendre. Désormais il avait compris. Et puis après ? Il ne voyait rien d’autre autour de lui, rien qui l’intriguait. Alors il avait sombré à nouveau.
Ce n’est que près d’un an plus tard qu’un évènement était venu le ramener à la vie. Un évènement banal, qu’il était le seul à avoir remarqué. Au milieu de l’étendue déserte de sable qui entourait la prison, une tâche verte était apparue. Camil la voyait de loin, de très loin mais il était fasciné. La plante avait grandi sous ses yeux, elle s’était progressivement habillée de feuilles et de petits boutons dorés avaient éclos sur ses branches. Un mimosa selon le manuel de botanique qu’il avait emprunté. Un arbre. Ici. Au milieu de nulle part. De la vie. Camil s’était pris de passion pour lui, comme un enfant. Chaque jour il notait sur un petit carnet tout ce qu’il pouvait en dire : sa couleur, si ses feuilles étaient tombantes ou non, s’il y avait beaucoup de fleurs… Chaque automne il le regardait perdre sa belle couleur. Chaque hiver, il craignait qu’il ne meure à cause du gel mais jamais le mimosa ne montra de signes de faiblesse. Chaque printemps, il trépignait d’impatience de voir les bourgeons éclore. Chaque été il espérait pouvoir respirer son parfum. Le manuel disait que l’odeur du mimosa était divine, plus forte que celle de presque tous les autres arbres. Mais jamais son nez n’en fit l’expérience. C’était frustrant. Presque pire que de ne pas pouvoir serrer sa fille dans ses bras. Difficile à croire. Et pourtant, sa fille, il pouvait ne pas y penser, elle n’était pas là sous ses yeux. Le mimosa lui l’était.
Ce jour-là, il était resplendissant, le soleil haut dans le ciel le peignait sur le sable d’une ombre dentelée. Ce jour-là n’était pas n’importe quel jour. Camil s’en rendit compte en allant faire son rapport sur son carnet. Le 11 Août 2011. Comment avait-il pu oublier ? D’un bond, il se précipita devant le lavabo et entreprit de se nettoyer avec un peu d’eau savonneuse. Il enfila ensuite la chemise blanche, celle qu’on ne leur laisse porter que pour les grandes occasions. Camil n’avait jamais eu de grandes occasions. Enfin prêt, il attendit, assis sur son lit, qu’on vienne le chercher. L’attente lui sembla durer des heures et quand enfin un gardien s’approcha pour ouvrir sa cellule, il crut que son cœur allait lâcher.
Ils marchèrent le long des corridors sous les huées des autres détenus qui le détestaient tous et arrivèrent après quelques minutes devant une lourde porte en fer. Lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, Camil manqua de s’effondrer. Elle était là. Le gardien amena Camil jusqu’à la table, détacha ses menottes et le fit s’assoir. Et puis il les laissa seuls.
- - Bonjour papa. Prononça Lola de sa voix d’enfant.
Elle avait tant changé que c’en était effrayant et en même captivant. Elle portait une petite robe bleue ceinturée par un ruban blanc assorti au nœud dans ses cheveux noirs. Ses yeux étaient posés sur lui et il ne pouvait s’en détacher. Elle était parfaite.
- Tiens papa. C’est pour toi. Dit-elle en posant quelque chose sur la table. J’ai trouvé ça joli alors je me suis dit que ça pourrait décorer ta maison.
Camil s’en empara et prit sa fille dans ses bras. Des larmes coulaient le long de ses joues tandis qu’un doux parfum envahissait ses narines.
Dans ses mains, un brin de mimosa.
Mardi 5 mars 2013 à 16:49
Lundi 4 mars 2013 à 21:57
- Venez voir les enfants ! appelai-je depuis le bureau.
1 minute… deux minutes…
- Les enfants !!! Clément, Julie !!! criai-je un peu plus fort dans l’espoir de les faire sortir de leurs chambres.
- Attends papa, je suis occupée ! grogna ma très chère fille tandis que son petit frère apparaissait enfin dans mon champ de vision.
- Julie, tu lâches ton portable cinq minutes et tu descends je te prie !
Des pas et des soupirs se firent entendre dans l’escalier, puis Julie entra dans le bureau et se posta devant moi.
- Quoi encore ?! J’espère que c’est important !
- Premièrement tu changes de ton avec moi, je ne suis pas ton « pote » et deuxièmement, regarde ça. Toi aussi Clément, approche.
Sur l’écran de mon ordinateur, la photo d’un sublime lagon faisait briller mes yeux depuis plusieurs jours déjà. Julie me regarda avec ses yeux vides, complètement indifférente à ce que j’essayais de lui montrer. Mon fils heureusement y portait un peu plus d’intérêt.
- Waaaah ! C’est une île déserte ?!
- D’après toi Clément, si c’était une île déserte, il y aurait des maisons en arrière plan et un hamac au premier ?
- Bah… J’en sais rien moi…
- Bon, pas que j’en ai rien à faire hein, commença Julie, mais tu veux en venir où là ? Tu veux qu’on te conseille pour un nouveau fond d’écran, c’est ça ? Eh bien celui-là est super voilà ! Je peux y aller maintenant ?!
- Bon sang Julie tu commences sérieusement à me casser les couilles ! Alors tu poses tes fesses sur la chaise et si c’est pour dire des conneries, tu la boucles !
Je perdais clairement patience et ma fille, peu habituée à m’entendre parler de cette façon, obéit étrangement. Alors c’était comme ça qu’il fallait s’y prendre avec les ados pour obtenir quelque chose d’eux ? J’en prenais note.
- Parfait. Donc les enfants, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer !
- On va adopter un chien ?! s’écria Clément.
Je levai les yeux au plafond dépité. Sa mère et moi avions très certainement raté une étape lors de sa conception…
- Est-ce que tu vois un rapport entre cette île et un chien ? demandai-je.
- Bah… J’en sais rien moi…
- On va aller là-bas ? interrogea Julie.
Merci mon dieu, au moins un des deux avait un peu de jugeote.
- Exactement ! C’est notre destination pour nos futures vacances !
- Mais papa, c’est Noël les prochaines vacances ! m’expliqua Clément. Il va faire super méga froid !
- T’es vraiment qu’un attardé toi ! l’insulta Julie. Les îles elles sont dans l’hémisphère sud, quand c’est l’hiver ici, c’est l’été là-bas !
- Julie ! Ne critique pas ton frère s’il-te-plait, il est plus petit, il ne connait pas ça !
- Oh ça va hein ! Il a dix ans !
- Ouais eh bah je m’en fiche d’abord parce que toi tu sais même pas ce que c’est un tubuluzuru !
- Pffff parce que c’est un mot que tu viens d’inventer ! T’es complètement débile !
- OH ! STOP maintenant ! Vous vous calmez tous les deux ! Si ça continue vous ne viendrez pas avec nous !
Evidemment, la menace fit son effet.
- Maman est au courant de ton idée ou tu as tout organisé tout seul ? demanda Julie visiblement dubitative.
- Parce que tu ne m’en crois pas capable peut-être ?
- La dernière fois que tu as organisé un voyage, on s’est retrouvés dans un camping miteux au bord d’une nationale…
Arf. C’est vrai que j’avais fait fort sur ce coup…
- J’ai réservé les billets d’avion et une maison sur pilotis. Normalement il ne devrait pas y avoir de problème !
- Y a la télé dans la maison ? demanda Julie.
- Euh… Je n’en sais rien… De toute façon ce n’est pas le plus important ! Tu ne vas pas passer tes vacances enfermée à regarder la télé alors que tu as des eaux turquoise qui n’attendent que toi !
- Non mais attends, si je ne peux pas regarder ma série sur m6 tous les après-midis, c’est mort hein ! Il y a le wifi au moins ?
Agacé, je pris le contrat de location et le feuilletai à la recherche des informations existentielles pour ma fille. Hmm. Pas de télé, pas de wifi… Ah ah, au moins elle pourrait se concentrer sur autre chose que sur son ordinateur et ces soi-disant séries « qui déchirent ». Je parcourrai le reste des yeux : pas de lave-vaisselle. Eh merde… Ma femme allait me tuer… Pas de machine à laver. Bon ça à la limite ce n’était pas bien grave, on allait vivre en maillot de bain les ¾ du temps. 2 lits doubles. Gloups. Soudain j’eus l’impression que le col de ma chemise se ressaierait tour de ma gorge. Comment allais-je pouvoir annoncer à mes deux charmants enfants qui ne se supportaient pas qu’ils devraient partager le même lit ?! J’étais un homme mort. J’étais un père mort.
La porte d’entrée claqua et femme vint nous rejoindre.
- Qu’est-ce que vous faites tous là ? fit-elle en déposant un baiser sur le front de Julie puis de Clément.
- Papa veut nous amener sur une île déserte pour adopter un chien ! déclara Clément.
- Ouais et même qu’il n’y a pas la télé ! renchérit Julie.
Agathe tira une chaise vers elle et s’installa à mes côtés.
- Chéri ? Tu veux bien m’expliquer ?
Pourquoi ? Pourquoi est-ce que j’avais encore essayé de me lancer dans quelque chose que je ne maitrisais absolument pas ?! C’était clairement un truc de femmes l’organisation ! Elles pensaient toujours à tout quand moi je pensais seulement à l’essentiel… et encore…
- Je nous ai réservé des vacances pour Noël. Commençai-je. En Nouvelle-Calédonie.
- Mais Charles… Tante Huguette nous a invités à venir passer le réveillon avec elle…
- Hein ?! Mais depuis quand ?!
- Depuis qu’on est allés manger chez elle cet été…
Ah oui. J’avais oublié ce léger détail…
- On ne peut pas annuler ? demandai-je en l’embrassant, geste futile pour tenter de l’apaiser.
- Non on ne peut pas ! Elle a toujours était là quand on avait des soucis ! Dois-je te rappeler qu’elle nous a prêté énormément d’argent quand tu as perdu ton travail et qu’on ne parvenait plus à joindre les deux bouts ?! Lui rendre visite à Noël c’est le minimum qu’on puisse faire pour la remercier ! Et puis avec quoi est-ce que tu as payé le voyage ?!
- J’ai eu une prime.
- Une prime ?! Alors que tu ne travailles dans l’entreprise que depuis trois mois ?! Ne me dis pas que tu t’es remis à jouer !
D’accord, je ne lui dirai pas.
- Ecoute Agathe, ça nous ferait du bien de nous éloigner un peu de la ville, d’aller respirer un peu d’air pur, de voir le soleil, les palmiers…
- Je suis d’accord avec toi, ça serait l’idéal…
Elle allait flancher, je le sentais !
- Bien…
Yes !
- C’est d’accord.
Qui c’est le plus fort ? Qui c’est le meilleur ?!! C’est Charles !!! A nous les plages de sable fin, l’eau à 30°C, les plongées, la barrière de corail ! Avec un peu de chance on pourrait caser les mômes dans un centre d’activité et profiter de nos après-midi tous les deux, juste elle et moi !
- Mais à une condition…
Tout ce que tu veux ma chérie !
- On amène tante Huguette avec nous.
Et merde.