Cela faisait maintenant près de deux heures que j’étais assis sur un des nombreux bancs de l’amphithéâtre. J’avais l’impression d’avoir les os des fesses broyés et je n’étais pas le seul à en croire la vision que j’avais de mes chers camarades se dandinant sur leurs sièges de fortune tout en essayant de ne rien perdre du cours qui se déroulait dans le plus strict silence. Seule la voix nasillarde de Madame Duchêne –ou plutôt devrais-je dire du Docteur Duchêne qui n’a cesse de nous répéter à nous « bandes d’incapables » qu’elle a un doctorat en lettres modernes- venait résonner dans l’immense salle où nous étions pourtant collés comme des sardines. Trois ans que je foulais le sol de la fac de Lettres sans réel objectif d’avenir, les études, ça n’était clairement pas mon truc mais quand on nous avait demandé en terminale ce qu’on comptait faire de nos vies, la réponse que j’avais formulée, à savoir « testeur de matelas professionnel pour pouvoir dormir tout le temps », n’avait pas vraiment plu à la conseillère d’orientation qui, à y repenser, mériterait plutôt le titre de conseillère de désorientation. J’avais un esprit logique, scientifique, mais déjà en seconde, elle m’avait fortement incité à partir en L et le garçon naïf que j’étais avait obtempéré. Résultat : je n’avais presque jamais travaillé, j’avais raté mon bac une première fois et finalement je l’avais décroché après des rattrapages plus que houleux –faire du charme à l’examinatrice de philo n’ayant pas été une idée si brillante que j’aurais pu le penser-. Bref, mis à part l’appartement que me payaient mes parents pour que je puisse « travailler dans des conditions idéales » (ce que ça peut être crédules les parents…), les cours que je pouvais désormais sécher sans peur de représailles et les multiples filles qui s’offraient à moi –eh oui, finalement, j’étais peut-être bien devenu testeur de matelas professionnel- ma vie n’avait pas vraiment changé. Je me laissais porter au rythme du calendrier scolaire, passais aux rattrapages en septembre et par je-ne-sais quel miracle, je m’en sortais plutôt bien.
Sur la feuille qui était posée devant moi, les citations littéraires avaient cédé leur place à des dessins anarchiques de dragons et de créatures tout droit sorties de mon imagination. A ma gauche, mon ami Guillaume s’était assoupi au milieu de ses stylos, victime du pouvoir soporifique de notre professeure adorée. J’envisageais sérieusement de m’endormir moi aussi quand elle projeta sur le diaporama la photo d’un livre d’Amélie Nothomb : hygiène de l’assassin. Je poussai un soupir si fort que Guillaume se redressa en sursaut. Je craignais d’avance qu’elle nous demande de nous en procurer un exemplaire et de le lire dans les plus brefs délais. Amélie Nothomb, et puis quoi encore ? Je refusais de succomber à cette auteure « à la mode » car qu’y avait-il de plus lassant que de lire un bouquin que tout le monde avait déjà lu ? Il n’y avait plus aucune satisfaction de découvrir un talent inconnu ! Eviter tous les auteurs populaires aux ventes record, c’était ça ma philosophie littéraire à moi, fervent admirateur de J.K Rowling…
Je n'ai listé que les derniers achats... eh bah y a du boulot ! 
