Blop.2.0

Ceci est un (presque) journal. Attention : peut mordre.

Mercredi 6 mars 2013 à 14:51

 Le mimosa
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         Le soleil s’était levé depuis quelques heures déjà mais Camil, la tête enfouie dans son oreiller, tentait en vain de faire abstraction de la lumière qui envahissait sa chambre. Sa chambre. Il aimait l’appeler ainsi, ça lui donnait l’impression qu’il était chez lui et pourtant cela faisait des années qu’il n’avait pas franchi le seuil de sa maison. N’arrivant pas à occulter la cacophonie qui régnait dans les cellules voisines, le jeune homme se retourna pour s’allonger sur le dos et observer le plafond. C’était un plafond blanc, tout ce qu’il y a de plus basique, néanmoins il avait déjà passé des journées entières à le fixer sans ciller. Il en connaissait désormais les moindres détails, la moindre tâche, la moindre irrégularité, le moindre moustique écrasé sans doute par ses prédécesseurs. C’était la seule partie de la pièce qui n’avait pas été touchée par le fléau des graffitis, les quatre murs et quelques meubles avaient été pris d’assaut par les anciens résidents si bien que leur couleur d’origine était indéterminable et que chaque fois que Camil s’asseyait au bureau, ses avant-bras et ses mains étaient immédiatement couverts d’encre. Lui-même avait toujours refusé de se prêter à l’exercice, préférant nettement le contact de la plume sur la feuille à celui du marqueur sur la pierre. Les inscriptions le répugnaient, il lui était inconcevable de comprendre comment les ex-locataires avaient eu la force d’écrire le prénom de leur femme, de leurs enfants sur ces murs froids et souillés. Ne serait-ce qu’imaginer de voir le prénom de sa fille au milieu de tous les autres lui donnait la nausée, c’était comme imaginer la salir, la trainer dans la boue. Et il ne voulait pas ça. Non. Il n’avait même jamais eu le courage d’accrocher une photo d’elle au-dessus de son lit, il avait décrété que son visage angélique n’avait pas sa place ici. Et sans doute avait-il raison.

         Camil se leva résigné et, comme tous les matins, se posta devant les barreaux de sa fenêtre. L’air, bien que brûlant et qui venait l’asphyxier, lui faisait l’effet d’une caresse sur le visage. Dans l’infinie de ciel bleu, seuls quelques nuages avaient réussi à se faire une place, « des cirrus, pensa Camil, encore et toujours des cirrus ». Pendant les premiers mois de son incarcération, le jeune homme avait refusé de se laisser aller comme ses co-détenus, il avait rejeté la drogue qui circulait, refusé les propositions qu’on lui avait faites pour se rallier à un « clan » de prisonniers censé assurer sa protection, il avait aussi renoncé aux médicaments de l’infirmerie : des anti-dépresseurs et des somnifères pour la plupart, des antalgiques quand il se faisait frapper. Il pensait mériter la peine qu’on lui avait infligée -il était d’ailleurs indéniable qu’il la méritait- et voulait vivre cette expérience seul, sans aide de quelque sorte que ce soit. Pendant les seize premières semaines il était resté devant sa fenêtre sans rien faire d’autre qu’observer le ciel, les nuages le jour, les étoiles la nuit. Pourtant, un jour, alors qu’il semblait qu’il lui serait impossible de sortir de cet état quasi végétatif, Camil avait demandé à aller à la bibliothèque. Il en était revenu les bras chargés de livres sur l’astronomie, les constellations, sur la météorologie aussi. Il avait étudié pour comprendre. Désormais il avait compris. Et puis après ? Il ne voyait rien d’autre autour de lui, rien qui l’intriguait. Alors il avait sombré à nouveau.

         Ce n’est que près d’un an plus tard qu’un évènement était venu le ramener à la vie. Un évènement banal, qu’il était le seul à avoir remarqué. Au milieu de l’étendue déserte de sable qui entourait la prison, une tâche verte était apparue. Camil la voyait de loin, de très loin mais il était fasciné. La plante avait grandi sous ses yeux, elle s’était progressivement habillée de feuilles et de petits boutons dorés avaient éclos sur ses branches. Un mimosa selon le manuel de botanique qu’il avait emprunté. Un arbre. Ici. Au milieu de nulle part. De la vie. Camil s’était pris de passion pour lui, comme un enfant. Chaque jour il notait sur un petit carnet tout ce qu’il pouvait en dire : sa couleur, si ses feuilles étaient tombantes ou non, s’il y avait beaucoup de fleurs… Chaque automne il le regardait perdre sa belle couleur. Chaque hiver, il craignait qu’il ne meure à cause du gel mais jamais le mimosa ne montra de signes de faiblesse. Chaque printemps, il trépignait d’impatience de voir les bourgeons éclore. Chaque été il espérait pouvoir respirer son parfum. Le manuel disait que l’odeur du mimosa était divine, plus forte que celle de presque tous les autres arbres. Mais jamais son nez n’en fit l’expérience. C’était frustrant. Presque pire que de ne pas pouvoir serrer sa fille dans ses bras. Difficile à croire. Et pourtant, sa fille, il pouvait ne pas y penser, elle n’était pas là sous ses yeux. Le mimosa lui l’était.

         Ce jour-là, il était resplendissant, le soleil haut dans le ciel le peignait sur le sable d’une ombre dentelée. Ce jour-là n’était pas n’importe quel jour. Camil s’en rendit compte en allant faire son rapport sur son carnet. Le 11 Août 2011. Comment avait-il pu oublier ? D’un bond, il se précipita devant le lavabo et entreprit de se nettoyer avec un peu d’eau savonneuse. Il enfila ensuite la chemise blanche, celle qu’on ne leur laisse porter que pour les grandes occasions. Camil n’avait jamais eu de grandes occasions. Enfin prêt, il attendit, assis sur son lit, qu’on vienne le chercher. L’attente lui sembla durer des heures et quand enfin un gardien s’approcha pour ouvrir sa cellule, il crut que son cœur allait lâcher.

         Ils marchèrent le long des corridors sous les huées des autres détenus qui le détestaient tous et arrivèrent après quelques minutes devant une lourde porte en fer. Lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, Camil manqua de s’effondrer. Elle était là. Le gardien amena Camil jusqu’à la table, détacha ses menottes et le fit s’assoir. Et puis il les laissa seuls.

-           -       Bonjour papa. Prononça Lola de sa voix d’enfant.

         Elle avait tant changé que c’en était effrayant et en même captivant. Elle portait une petite robe bleue ceinturée par un ruban blanc assorti au nœud dans ses cheveux noirs. Ses yeux étaient posés sur lui et il ne pouvait s’en détacher. Elle était parfaite.

-      Tiens papa. C’est pour toi. Dit-elle en posant quelque chose sur la table. J’ai trouvé ça joli alors je me suis dit que ça pourrait décorer ta maison.

         Camil s’en empara et prit sa fille dans ses bras. Des larmes coulaient le long de ses joues tandis qu’un doux parfum envahissait ses narines.

Dans ses mains, un brin de mimosa. 


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